Affaire Bukanga Lonzo : Hommage à Dieudonné Kamuleta ( Par Léon Engulu)

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L’affaire Bukanga Lonzo connait un nouveau rebondissement à travers une correspondance adressée le 25 avril 2025 par le Président de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe au Président de la Cour constitutionnelle Dieudonné Kamuleta, dans laquelle le président de l’Assemblée nationale lui demande de requérir au préalable la levée de l’immunité de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo poursuivi pour détournement de denier publics devant la Cour constitutionnelle. Le philosophe Léon ENGULU III analyse la démarche du Président de l’Assemblée nationale et rend hommage au Président de la Cour constitutionnelle pour son administration de la justice.

Chronologie d’une bataille juridique et politique

L’affaire Matata Ponyo, ancien Premier ministre de la RD Congo, est devenue un symbole des tensions entre les pouvoirs et des défis auxquels la justice congolaise est confrontée. Accusé de détournement de fonds publics dans le cadre du projet agro-industriel de Bukanga Lonzo, Matata Ponyo a vu son immunité parlementaire levée par le Sénat le 5 juillet 2021. Cette levée d’immunité, conformément à l’article 107 de la Constitution, est un acte acquis qui permet à la justice de suivre son cours, indépendamment des changements ultérieurs de statut parlementaire du justiciable.

Dans un arrêt du 15 novembre 2021 la Cour constitutionnelle, alors présidée par Dieudonné Kaluba, s’était initialement déclarée incompétente pour juger un ancien Premier ministre, et on se souvient que cette décision avait suscité de vifs débats. Cet arrêt faisait craindre que les hauts responsables de la République ne bénéficient d’une impunité désarmante.

Cependant, l’arrêt du 18 novembre 2022 rendu par la Cour constitutionnelle sous la présidence de Dieudonné Kamuleta constitue un revirement fondamental et salvateur. La Cour a alors affirmé sa compétence pour juger les anciens Premiers ministres, et cette décision prise pour éviter un vide juridique et garantir que les responsables de malversations et détournements ne puissent échapper à la justice est d’une portée historique. Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle reconnaît que la levée d’immunité initiale de l’immunité parlementaire de Matata Ponyo par le Sénat demeure valable, quel que soit son statut parlementaire actuel.

Le principe de permanence de la levée d’immunité

L’article 107 de la Constitution de la RDC est clair : « Aucun membre du Parlement ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière pénale qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat, selon le cas, sauf en cas de flagrant délit. La poursuite ou la détention d’un membre du Parlement est suspendue si l’Assemblée nationale ou le Sénat, selon le cas, le requiert. » Conformément au principe de permanence de la levée d’immunité, une fois l’autorisation de poursuite accordée par la levée de l’immunité, cette levée demeure effective pour toutes les affaires pour lesquelles des charges peuvent être retenues à ce moment-là. La prétention des avocats de Matata Ponyo selon laquelle la levée d’immunité de juillet 2021 ne concernait qu’une autre affaire, un dossier relatif à la zaïrianisation, ne saurait remettre en cause ce principe. Une levée d’immunité permet à la justice de suivre son cours sur l’ensemble des dossiers pertinents ou qui apparaissent au cours de la procédure.

La faute du Président de l’Assemblée

La demande adressée par le Président de l’Assemblée nationale au Président de la Cour constitutionnelle apparaît dès lors comme une tentative d’interférer avec le cours de la justice. En demandant à la Cour constitutionnelle de requérir au préalable la levée de l’immunité du député Matata Ponyo, alors que celle-ci a déjà été validement levée par le Sénat en 2021, et en sollicitant un sursis de la procédure, le Président de l’Assemblée nationale commet une faute institutionnelle doublement caractérisée.

Premièrement, il s’agit d’une violation potentielle de l’article 149 de la Constitution, qui consacre l’indépendance du pouvoir judiciaire : « Le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Il est exercé par les cours et tribunaux. ». La démarche du Président de l’Assemblée nationale peut être interprétée comme une pression indue du pouvoir législatif sur le pouvoir judiciaire.

Deuxièmement, il s’agit d’un manquement au respect de l’article 153 de la Constitution, qui définit les attributions de la Cour constitutionnelle. Le rôle de la Cour n’est pas de lever l’immunité des parlementaires, mais de juger les affaires relevant de sa compétence et en l’occurrence celle des anciens Premiers ministres, au regard de son arrêt du 18 novembre 2022.

Justice et responsabilité institutionnelle

Le revirement de jurisprudence opéré par le Président Dieudonné Kamuleta a été crucial pour éviter un vide juridique et garantir que les anciens hauts fonctionnaires soient tenus responsables de leurs actes. Sans cette décision, Matata Ponyo et d’autres auraient pu arguer de leur changement de statut parlementaire pour échapper à la justice, malgré une levée d’immunité initiale valable pour toutes les affaires pertinentes. La Cour constitutionnelle, en se déclarant compétente, a implicitement reconnu la permanence de la levée d’immunité acquise par le Sénat, et cette jurisprudence essentielle ne sera plus remise en question en RD Congo.

L’affaire Matata Ponyo est un test pour l’État de droit en RD Congo. Elle met en lumière la nécessité pour les institutions de respecter scrupuleusement leurs prérogatives et de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire. La tentative du Président de l’Assemblée nationale de remettre en question une levée d’immunité acquise et d’influencer le cours de la justice peut être interprétée comme une atteinte aux principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs.

La confiance des Congolais dans leur système judiciaire est essentielle pour la pérennité de l’État de droit. La justice doit être perçue comme impartiale et équitable, quel que soit le statut des justiciables. L’acquittement de Vital Kamerhe lui-même, dans le cadre du dossier des 100 jours, a démontré que la justice congolaise peut rendre des décisions indépendantes. Il est donc d’autant plus important que les institutions, y compris l’Assemblée nationale, respectent l’indépendance de la justice et évitent toute ingérence dans les procédures en cours.

La Cour constitutionnelle doit poursuivre son action en toute indépendance, conformément à la Constitution et aux lois de la République, la crédibilité du système judiciaire et la lutte contre l’impunité en dépendent. Le respect des procédures légales et la préservation de l’indépendance de la justice sont des impératifs catégoriques de l’Etat de droit.

Communicateur aux Etats généraux de la Justice en novembre 2024, je rends ainsi hommage au Président Dieudonné Kamuleta, pour avoir permis à une justice qualifiée de malade, de faire face, sans faux-fuyants, à ses responsabilités dans la répression des crimes et des délits, sans dire le droit selon que l’on soit puissant ou misérable.

Léon ENGULU III
Philosophe,
Ingénieur agronome,
Ancien Coordonnateur a.i du Mécanisme
National de Suivi, chargé de la préparation
des réformes en RD Congo

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