( Note : Lecture un peu longue mais nécessaire )
SOMMAIRE
- APERCU HISTORIQUE : LE ZAIRE MARCHANT
- LA CRISE POLITICO-ECONOMIQUE DES ANNEES 90 ET SES CONSEQUENCES
- TENTATIVES DE LA RELANCE DE L’ECONOMIE DE LA RDC DES ANNEES 2000
- QUID DE LA FISCALITE ET DE LA PARAFISCALITE EN RDC
- CE QU’ON RETIENT DE LA REFORME DES ENTREPRISES PUBLIQUES
- QUID DES PERFORMANCES DES ENTREPRISES PUBLIQUES EN RDC DE NOS JOURS
- OBSERVATIONS
- LECONS A TIRER
- CONCLUSION
- APERCU HISTORIQUE : LE ZAIRE MARCHANT
Au moment de l’indépendance, les anciennes métropoles font tout leur possible pour garder un contrôle sur leurs anciennes colonies en poussant au pouvoir des hommes qui serviraient leurs intérêts.
- Voici un fait marquant de l’histoire du Zaïre :
En 1978, des PDG européens sont nommés à la tête des principales sociétés mixtes comme la Gécamines (Générale des Carrières et des Mines), la SNCZ (Société Nationale des Chemins de fer du Zaïre, l’ONATRA (Office National des Transports) mais aussi les douanes et la banque du Zaïre.Une fois encore, l’ingérence des occidentaux et des institutions financières internationales dans les affaires intérieures du Zaïre n’est plus à démontrer.
Ces PDG européens doivent mettre en place les politiques néo-libérales du FMI et assurer au mieux la gestion de ces sociétés mixtes en ce sens.
Parlant de la Gecamines, la contribution très significative de cette dernière au trésor publique a été de l’ordre de 70 % dans la constitution du produit national brut (PNB) et l’apport de la quasi-totalité de l’apport des recettes en devises au budget de l’Etat, lors des moments de prospérité de la Gécamines tel que nous renseigne le site officiel de cette entreprise.
La Gécamines fut l’une des entreprises du pays utilisant une main d’œuvre importante dont l’effectif a été de plus de 34.000 agents dans la période de 1974 à 1992.
Les exploitations minières du Katanga, situées sur de vastes gisements miniers de la Copperbelt, ont fait de la Gécamines le poumon économique de l’actuelle République Démocratique du Congo.En 1984, le groupe « Gecamines » évolue vers une holding à trois filiales : Gécamines exploitation, Gécamines commerciale et Gécamines développement. En 1995, ces filiales sont regroupées au sein de la Gécamines SA.
- LA CRISE POLITICO-ECONOMIQUE DES ANNEES 90 ET SES CONSEQUENCES
La République démocratique du Congo (RDC) est un pays postconflit. Au courant de la décennie 1990, elle a connu des pillages qui ont contribué à la faillite de plusieurs entreprises. C’est également au cours de cette période que la Gécamines (la Générale des carrières et des mines), grand contributeur au budget de l’État, s’effondre. L’État a, par ailleurs, recouru systématiquement au financement monétaire et pratiqué une mauvaise gouvernance économique, ce qui a plongé le pays dans l’hyperinflation plongeant la RDC dans la catégorie des « Etat fragiles ».
Par ailleurs, Robert Rotberg, dans son article intitulé « Failed States, Collapsed States, Weak States: Causes and Indicators », qualifie de « weak states » (traduit par « Etats fragiles »), ces Etats qui au fil du temps ont vu diminuer leur capacité dans la production des biens publics.
Dans le même cadre, pour l’OCDE, un État fragile est, généralement, incapable de donner satisfaction aux attentes de sa population ou de gérer le changement à travers un processus politique.
En effet, la capacité de l’État à assurer aux citoyens la sécurité et les services sociaux de base, tels que la santé et l’éducation.
- Déclin de la Gecamines :
Le Zaire, devenu par le fait des évènements politico-économiques des années 90 un « Etat fragile », a eu des répercussions graves sur les entreprises publiques notamment la Gecamines qui a subit de plein fouet les conséquences des conflits ethniques affectant le secteur minier katangais dans les années 1990 et le contexte de guerre de libération menée par l’AFDL dans le pays entre 1996 et 2002 ont entraîné des difficultés pour la Gécamines, se traduisant par des retards de paiement du personnel de près de 36 mois de rémunération avec perte d’autres avantages acquis, et un retard de 56 mois de versement de pension alimentaire pour le personnel, etc.
- TENTATIVES DE LA RELANCE DE L’ECONOMIE DE LA RDC DES ANNEES 2000
Depuis le début des années 2000, l’industrie extractive a été le moteur de l’activité économique dans un contexte où la croissance, hors secteur de l’extraction, a été structurellement faible.Le pays dispose quasiment de tous les minerais nécessaires aux industries traditionnelles et modernes, à commencer par le cuivre, le cobalt, le zinc et le fer.
A ces minerais s’ajoutent les pierres précieuses, bien sûr le diamant dont l’importance relative a toutefois considérablement baissé dans les deux dernières décennies. La production de cuivre a progressé de 200 % entre 2005 et 2016.
A la différence de ce qui s’est fait à l’époque du Zaïre, la relance du secteur extractif des années 2000 s’est fait non pas à travers les entreprises publiques existantes tel que la GECAMINES, la MIBA, la SOKIMO, etc. par contre, cette dernière s’est plutôt fait à travers l’ouverture du secteur minier aux multinationales consacrant ainsi la migration de l’Etat Marchant à l’Etat collecteur d’impôts, Taxes et Redevances en
RDC.
- QUID DE LA FISCALITE ET DE LA PARAFISCALITE EN RDC
Le passage de l’Etat Marchant à l’Etat collecteur d’impôts, Taxes et Redevances a fait de la fiscalité et de la parafiscalité le fer de lance des recettes étatiques en RDC comparativement à l’époque du Zaïre ou ce sont, en plus des impôts et taxes versés, les dividendes issus de la vente du cuivre de la GECAMINES, notamment, qui contribuaient le plus à la formation du budget de l’Etat.
Le système fiscal de la RD Congo désigne l’ensemble des dispositions, des mécanismes et des structures organisationnelles qui concernent les prélèvements obligatoires.
L’État congolais prélève des impôts, des taxes, des redevances et des cotisations auprès des personnes physiques et morales.
De façon simplifiée rappelons que l’impôt est une prestation pécuniaire définitive sans contrepartie ; la taxe est payée pour une contrepartie de service public rendu, mais est généralement non proportionnelle ; la redevance est requise des usagers d’un service public comme contrepartie directe et proportionnelle, tandis que la cotisation sociale prélevée auprès des salariés et des employeurs donne droit aux avantages tels que les retraites.
En général, on distingue les prélèvements fiscaux et parafiscaux. Mais nous les entendrons les uns et les autres au sens de prélèvements obligatoires opérés par l’État.
Jusqu’en 2015, la DGDA contribuait pour 40 % aux recettes internes, la DGI et la DGRAD pour respectivement 25 % et 5 %. Depuis 2017, ces pourcentages ont évolué comme suit : DGI 40 %, DGDA 20 % et DGRAD 10 %, nous renseigne un rapport du ministère du Budget de la RDC.
- CE QU’ON RETIENT DE LA REFORME DES ENTREPRISES PUBLIQUES
Au début des années 2000, il y a eu des tentatives de faire renaitre « l’Etat Marchant » à travers des initiatives « dictées » par la Banque Mondiale qui, malheureusement, 20 ans après ne semble pas avoir portée des fruits.
Il s’agit du plan de réforme des entreprises publiques mise en place par cette dernière dont le comité de pilotage et de restructuration des entreprises publiques (COPIREP) était le « bras opérationnel ».
- Cas de la tentative de la réforme de la Gecamines :
En difficultés économiques, la Gécamines a été placée par la Banque mondiale sous le régime de contrat de gestion à objectif.
Celui-ci est confié à la Société française de réalisation et de construction (SOFRECO) conjointement avec les mandataires nationaux sélectionnés par le COPIREP dans le cadre d’un programme de restauration mené de 2006 à 2008.
L’avocat canadien Paul Fortin est nommé Administrateur Directeur Général de la Gécamines. Celle-ci mise sur un partenariat avec la Chine pour relancer la production de l’entreprise.
Les activités de production de la Gécamines sont développées dans les trois groupes : Ouest (Kolwezi), Centre (Likasi) et Sud (Lubumbashi).
En 2009, Paul Fortin présente sa démission de la direction de la Gécamines..Ainsi, le projet de réforme de la Gecamines, comme ceux des autres entreprises publiques, s’est donc soldées par un échec !!!
- QUID DES PERFORMANCES DES ENTREPRISES PUBLIQUE EN RDC DE NOS JOURS
Selon le rapport de la situation financière consolidée des entreprises publiques – exercice 2021 publié par le Ministère du Budget, les participations indirectes, entendues comme étant des participations détenues par les entreprises et établissements publics dans des entreprises opérant dans différents secteurs d’activités économiques, sont au nombre de 116 participations, détenues majoritairement par les entreprises publiques opérant dans les secteurs des mines, des hydrocarbures et des transports.
En effet, les flux des entreprises publiques vers l’Etat sont constitués notamment des impôts, droits et taxes ainsi que des dividendes versés par les entreprises. Ils se sont établis en 2021 à 168,4 milliards de FC, soit 84,2 millions d’USD contre 125,8 milliards de FC en 2020 soit une hausse de 33,86%.
Alors que ceux de l’Etat vers les entreprises publiques sont constitués notamment des taxes pré affectées d’une valeur d’USD 66,8 Millions, ainsi que des prêts rétrocédés d’une valeur d’USD 1,6 Milliards.
Par les chiffres présentés ci-haut, nous comprenons que les entreprises publiques de la RDC sont en état de « sevrage permanent » ; et par conséquent sans un impact significatif sur le budget de l’Etat.
Pour donner une idée de la gravité de la situation, faisons une comparaison avec les performances de la Gecamines du temps du Zaïre à son heure de gloire :
Par les taxes qu’elle a versées à l’État, elle a été la principale source de revenus du pays, avec jusqu’à 368 millions de dollars versés en impôts, taxes et droits divers en 1988.
- Note de calcul :
Tenant compte de l’effet de l’inflation, les 368 millions de dollars versés par la Gecamines à l’Etat en 1988 équivalent à 1.006.435.355 dollars (soit plus d’1 Milliard de dollars) en 2025 considérant que l’inflation annuelle en 1988 était d’environ 2,76%.
- OBSERVATIONS
Partant de ce qui précède, en se basant sur la réflexion émise par Robert Rotberg qui parle des degrés d’incapacité de l’État auxquelles nous avons fait allusion au point 2 ci-haut dont de la notion de construction de l’État (« state building ») est comprise comme un processus et un ensemble d’actions destinées à développer les capacités, les institutions et la légitimité de l’Etat pour que ce dernier réponde mieux à ses missions ; telle est la voie sur laquelle souhaite se lancer la RDC pour la relance de son économie. C’est à ce niveau qu’une réflexion profonde mérite d’être faite sur le concept « d’Etat Marchant » considérant que pour sortir la RDC de la catégorie « d’Etat faible » (selon la définition de Rotberg), ayant pour conséquence positive l’augmentation des recettes en termes d’impôts, taxes et redevances et donc du Budget de l’Etat, tel que le veut « l’Etat collecteur d’impôts, Taxes et redevances », il faut penser à la relance des Entreprises Publiques en RDC qui par leur faillite constituent un « goulot d’étranglement » au développement économique du pays, pourtant, ces dernières, en particulier, celles du secteur minier, des hydrocarbures et du secteur des transports peuvent servir de « catalyseur » , en particulier, au développement du secteur privé en RDC.
Par ailleurs, on constate aussi que l’Etat collecteur d’impôts, Taxes et Redevances finit par se buter à un « plafond de verre » en termes d’augmentation de recettes fiscales et parafiscales car cela est tributaire du développement de l’activité économique.
D’où la nécessité pour la RDC de repenser à développer l’Etat Marchant pour atteindre ses objectifs d’augmentation constante du Budget de l’Etat d’année en année pour permettre progressivement à ce dernier de satisfaire les innombrables besoins de sa population (state building).
- LECONS A TIRER
Considérant que le développement effectué dans les paragraphes précédents aurait permis de cerner la nécessité de repenser à « l’Etat Marchant », ci-dessous nous présentons quelques leçons à tirer :
- Leçon no 1 : « Vaincre nos vieux démons » : Il y a des choses que personne ne fera pour nous. Un jour, le congolais doit se décider de faire les choses correctement. C’est point de départ !
- Leçon no 2 : « Ne plus réfléchir par procuration » : Nous avons vu tout au long du texte que depuis l’indépendance, dans un contexte néocolonial, ce que les décideurs congolais appliquent en termes de politiques publiques sont généralement des réflexions « «importées» » de l’étranger ( souvent provenant des institutions de Bretton Wood ). C’est ce que nous qualifions de réflexions par procuration. Il est temps qu’il existe une « intelligencia congolaise » qui peut, en plus des réflexions étrangères, nous dire ce qui est bon à faire par et pour les congolais.
- Leçon no 3 : « «Avoir une vision de développement claire sur le long terme » : cela fait plus de deux décennies que la RDC n’a pas développé un plan stratégique de développement qui s’étale sur plus de 5 ans (Moyen terme). Pourtant, pour être efficace, un plan stratégique de développement doit s’étaler sur 20 à 25 ans (Long terme).
- CONCLUSION
Le commerce international joue un rôle important dans la croissance économique.
Il va de soi que pour une économie tournée et dépendante de l’extérieur, comme celle de la RDC la facilitation des échanges est indispensable pour asseoir un développement durable.
C’est à ce niveau que les Entreprises Publiques jouent un rôle central en tant que « «catalyseur» » de l’activité économique.
Pour y arriver, l’Etat congolais ne doit plus se limiter à la collecte des Impôts, Taxes et Redevances et s’intéresser davantage au développement de l’activité économique avec l’Etat comme acteur principal.
C’est ça que nous qualifions « d’Etat Marchant » dans cette tribune.
L’Etat Marchant, c’est un Etat tourné vers le commerce international tel qu’à l’époque du Zaïre.
Pour finir, en ce moment où nous parlons du développement des relations d’affaires entre les Etats-Unis et la RDC, il est important de comprendre que pour que la RDC tire son épingle du jeu après les 15 ans de coopération, il sera important pour cette dernière de : vaincre ses vieux démons, de ne plus réfléchir par procuration et d’avoir une vision de développement claire sur le long terme.
PATRICK ONOYA TAMBWE
Chercheur, lobbyiste et stratège en investissement


