LE PROTOCOLE RENVERSANT DE LA RD CONGO ! Un Premier ministre méprisé (Par Léon Engulu)

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Certains retards dans l’exécution du programme électoral du Président Félix Tshisekedi s’expliquent en partie par le protocole renversant de la RD Congo qui ignore les principes de préséance propre au régime semi-présidentiel. Contrairement au bon sens, le Premier ministre occupe le quatrième rang protocolaire de la République, ce qui l’empêche de mener ses missions constitutionnelles avec efficacité.

Une erreur constitutionnelle

La Constitution de la RD Congo, savamment mal rédigée, et dont les congolais attendent impatiemment des amendements urgents, énumère en son Titre III relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir, article 68, les institutions de la République dans l’ordre fautif suivant : le Président de la République, le Parlement, le Gouvernement, les Cours et Tribunaux. Cet alignement fautif de la hiérarchie des pouvoirs dans un régime présidentiel calqué sur le modèle français n’est pas sans conséquences sur la gouvernance du pays et la réalisation du programme de Gouvernement du Président Félix Tshisekedi.

Le régime semi-présidentiel de la RD Congo confère au Premier Ministre le rôle de chef du gouvernement, responsable devant l’Assemblée Nationale. Le Premier ministre, actuellement l’excellente Judith Suminwa Tuluka, exerce un pouvoir exécutif quotidien, qui le place, en France, modèle-type du régime semi-présidentiel, immédiatement après le Président dans l’ordre de préséance. Cette position se justifie fondamentalement par l’impossibilité de séparer fonctionnellement les têtes de l’exécutif bicéphale qui caractérise ce type de régime. Placer les présidents des chambres législatives avant le chef du gouvernement minimise l’importance de la fonction exécutive quotidienne.

Les critères fondamentaux de la préséance

Le premier critère fondamental à considérer est la légitimité populaire directe. Le Président de la République est élu au suffrage universel direct, ce qui lui confère une légitimité populaire primordiale. Le Premier Ministre, nommé par le Président, tire sa légitimité politique de la confiance de l’Assemblée Nationale. Les présidents des deux chambres législatives sont élus par leurs pairs et représentent une légitimité indirecte. La préséance institutionnelle doit refléter idéalement le niveau de légitimité populaire directe.

Le rôle fonctionnel du Premier ministre qui conduit la politique de la nation à travers l’action du gouvernement, met en œuvre les lois et dirige l’administration du pays, en fait l’un des termes du binôme exécutif, l’autre terme étant le Président de la République. Le Premier ministre est donc animé dans son action par la légitimité populaire directe du Président de la République, et pour preuve il le supplée dans la présidence du conseil des ministres et des différents comités de gouvernance sécuritaires. Les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat dirigent les travaux législatifs et représentent le pouvoir législatif. Leurs fonctions sont distinctes de la conduite quotidienne de la politique de la nation et ainsi, le Premier ministre doit être placé après le Président de la République dans l’ordre de préséance. La constitution du modèle-type français, aligne les chapitres concernant les pouvoirs dans l’ordre logique Président de la République, Gouvernement, Parlement.

De manière classique les régimes semi-présidentiels ou parlementaires bien pensés placent le chef du gouvernement immédiatement après le chef de l’État dans l’ordre de préséance. Le protocole français est fondé sur la logique institutionnelle de ce régime et la préséance institutionnelle indique très justement dans le bon ordre, le Président de la République, le Premier ministre, le Président du Sénat, appelé à exercer l’intérim du Président de la République, et le Président de l’Assemblée nationale.

La pratique congolaise qui place les présidents des chambres législatives avant le Premier Ministre est éminemment discutable au regard de la nature semi-présidentielle du régime, du niveau de légitimité populaire directe du Président de la république et du rôle fonctionnel du Premier ministre. Cette pratique est non conforme aux traditions fonctionnelles du régime semi-présidentiel et n’est pas sans conséquences, le parlement agissant comme un électron libre, sans agenda parlementaire clair, et propose des lois sans rapport avec l’action attendue du Gouvernement.

Conséquences fonctionnelles d’un protocole renversant

Le placement du Premier ministre en quatrième position protocolaire en RD Congo, derrière les présidents des deux chambres du Parlement, a des conséquences fonctionnelles négatives sur la gestion du pays et l’animation cohérente des institutions. La fixation de l’agenda parlementaire est aléatoire et le rôle timoré du Premier ministre nuit à l’efficacité gouvernementale.

La position non conventionnelle du Premier ministre en quatrième position protocolaire affaiblit l’autorité du Gouvernement et diminue l’importance et l’autorité de la fonction exécutive dans un pays à la recherche d’un redressement salutaire. La faiblesse protocolaire du Premier ministre affecte la perception de la force et de la capacité d’action du gouvernement tant au niveau national qu’international. Le Premier ministre incarne difficilement le rôle de leadership et de coordination de l’action gouvernementale face aux autres institutions.

Le recul protocolaire du Premier ministre en RD Congo l’affaibli lors des discussions interinstitutionnelles, en contradiction avec le fait qu’il conduit la politique de la nation au quotidien. De ce fait, le Parlement agi comme un électron libre dans la fixation de l’agenda parlementaire, dans l’ignorance que dans les traditions semi-présidentielles, le gouvernement a un rôle prépondérant dans la définition de cet agenda. L’affaiblissement protocolaire du Premier ministre permet au Parlement d’agir selon ses propres priorités en votant des lois déconnectées de l’action gouvernementale.

La prépondérance illogique du Parlement place le Premier ministre sous la menace constante d’’une motion de censure et le contraint à subir les intimidations des présidents des chambres parlementaires. Le Premier ministre est ainsi fortement freiné dans l’exercice de son rôle de chef de l’exécutif, ce qui rend la gestion du pays inefficace. Cette situation permet au Parlement d’agir de manière autonome et de proposer des lois sans lien avec les priorités gouvernementales. La mise en œuvre du programme du Président Félix Tshisekedi est ainsi retardée par le manque de cohérence des fonctions institutionnelles.

Le rôle du Président Félix Tshisekedi

Pour rétablir une action cohérente des institutions le Président Félix Tshisekedi, en tant que garant de la Constitution et de la bonne marche des institutions, devrait initier des consultations en vue d’un réaménagement de l’ordre de préséance institutionnelle pour sa mise en conformité avec la nature du régime semi-présidentiel. Ce réaménagement doit refléter la centralité du rôle du Premier ministre dans la conduite de l’action gouvernementale.

Le Président Félix Tshisekedi doit également veiller au renforcement du rôle du gouvernement dans la fixation de l’agenda parlementaire. En concertation avec le Premier ministre, Félix Tshisekedi doit chercher à rétablir une pratique plus conforme aux traditions semi-présidentielles où le gouvernement joue un rôle plus central dans la proposition et la priorisation des textes législatifs. Il doit pour cela mener des discutions politiques avec les leaders de la majorité pour leur faire admettre le bien-fondé des pratiques de fixation de l’agenda parlementaire en régime semi-présidentiel, de manière prépondérante par le Gouvernement.

Le Président Félix Tshisekedi doit s’atteler à renforcer la position du Premier ministre en lui accordant un soutien politique public et constant, qui souligne son rôle essentiel dans la mise en œuvre de son programme. Des dialogues institutionnels réguliers sont nécessaires avec les responsables institutionnels pour discuter des priorités nationales, coordonner l’action des institutions et s’assurer d’une meilleure cohérence dans la gestion du pays.

Enfin, le Président et le Premier ministre doivent développer une communication stratégique claire et coordonnée pour expliquer au public l’action du gouvernement, ses priorités et le niveau d’exécution du programme du gouvernement, afin de renforcer la légitimité de l’exécutif et de mobiliser le soutien populaire.

Le rétablissement urgent d’une action cohérente des institutions en RD Congo nécessite des ajustements pratiques dans le fonctionnement des institutions, un soutien politique affirmé au Premier ministre et une recherche constante de consensus politique. Nul doute que le réajustement de la préséance institutionnelle permettra une revitalisation sensible de l’action gouvernementale.

Léon ENGULU III
Philosophe,
Agronome,
Ancien Coordonnateur a.i
du Mécanisme National de Suivi,
chargé de la préparation des réformes
en RD Congo
.

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