Dans l’histoire politique, les États généraux ont toujours été présentés comme un outil exceptionnel, convoqué sous l’autorité de monarchies absolues ou de régimes autoritaires, pour tenter de résoudre des crises sociales, politiques ou économiques majeures.
Une réunion symbolique censée réunir les représentants des différents « états » de la société, tiers état pour débattre des grands enjeux d’une nation. Toutefois, derrière ces nobles intentions, ces réunions servaient souvent à masquer l’impasse d’un pouvoir en quête de légitimité et d’idées.
Dans une démocratie, avec une vue de politique économique moderne, ce rôle appartient aux élections. Les citoyens choisissent leurs représentants sur la base de leurs projets de société et de leurs lignes idéologiques sociales, politiques, et surtout économiques. Ces représentants ne sont pas là pour tergiverser, mais pour transformer ces contrats en politiques concrètes, en légiférant et en gouvernant à travers des institutions conçues pour cela. Si, après des élections démocratiques, un régime doit encore convoquer des États généraux pour réfléchir à quoi faire, c’est le signe évident qu’il n’avait ni plan, ni vision claire avant d’arriver au pouvoir.
Le Cirque Soleil de la politique congolaise
Convoquer des États généraux après des élections démocratiques en RDC soulève une question embarrassante : que faisaient ces élus pendant leur campagne électorale ? N’avaient-ils pas déjà exposé leurs priorités et proposé des solutions ? Cette pratique équivaut à dire, implicitement : « Nous avons conquis le pouvoir, mais nous ne savons pas quoi en faire. » Cela remet en question la légitimité du processus électoral et envoie un signal dangereux : celui d’une démocratie où les mécanismes représentatifs, pourtant le pilier central de tout régime démocratique, sont incapables de gérer les affaires publiques.
La multiplication des États généraux dans des secteurs clés comme les mines, la justice, ou les entreprises du portefeuille, en RDC, illustre parfaitement ce paradoxe. Ces grandes réunions, largement médiatisées, donnent l’illusion d’un pouvoir dynamique et engagé. Mais en réalité, elles ne produisent que peu ou pas de résultats concrets. Leur prolifération témoigne non seulement d’une incapacité à transformer les promesses électorales en actions tangibles, mais aussi d’un manque flagrant de vision cohérente. Ceci soulève aussi une question fondamentale : l’UDPS et l’Union sacrée avaient-elles réellement un plan clair et précis lorsqu’elles ont tout mis en œuvre pour conserver le pouvoir ? Ou s’agissait-il simplement de préserver leurs positions, sans réelle stratégie pour répondre aux attentes du peuple ?
Il ne faut pas oublier que les États généraux sont coûteux. Ils pèsent lourdement sur le trésor public et mobilisent des ressources précieuses dans un pays où les priorités budgétaires devraient être axées sur des secteurs vitaux comme l’éducation, la santé et les infrastructures. Pire encore, ils deviennent un outil de diversion politique. Ces grandes messes bureaucratiques arrivent souvent à des moments stratégiques, comme par magie, lorsque le gouvernement veut détourner l’attention de ses propres échecs. On dirait presque que les élus et les responsables gouvernementaux lâchent, avec un soupir fataliste : « On est à court d’idées, organisons une grande réunion pour faire semblant de chercher des solutions ! » C’est un exercice de communication bien rodé, un spectacle politique qui masque mal l’absence de réformes structurelles.
Derrière les rideaux, l’intention réelle de changement est aussi absente que l’électricité stable dans de nombreux quartiers de Kinshasa. Chaque nouveau ministre semble jouer exactement la même partition, répétant des promesses et des engagements sans jamais poser les bases d’un réel changement. Ce qui devient encore plus préoccupant, c’est que ces États généraux finissent souvent par produire des recommandations pompeuses, classées dans la catégorie « belles idées pour demain », mais qui n’arrivent jamais au stade de la mise en œuvre. Ils s’inscrivent dans une logique d’entretien des rapports de domination politique et économique, où le peuple reste spectateur d’un spectacle conçu pour masquer l’immobilisme.
Une légitimité démocratique inexistante
Contrairement aux élus, qui tirent leur légitimité d’un mandat populaire, les participants aux États généraux en RDC sont souvent triés sur le volet par le pouvoir exécutif, selon des critères opaques. Comment ces « représentants » choisis dans l’ombre peuvent-ils défendre les intérêts du peuple ? La réponse est simple : ils ne le peuvent pas. Même ceux qui aspirent sincèrement à agir pour le bien commun sont souvent prisonniers d’un système conçu pour perpétuer l’immobilisme et préserver les rapports de domination.
Ces États généraux deviennent alors un instrument au service du pouvoir, un outil de légitimation pour justifier son inertie et donner l’apparence d’une action. En donnant aux citoyens l’illusion que des réformes sont en cours, ils servent surtout à détourner l’attention des véritables problèmes : la pauvreté chronique, la corruption systémique, l’impunité des élites et l’échec des institutions à fournir des services de base.
Dans une démocratie fonctionnelle, les institutions représentatives sont censées être le moteur du progrès social, économique et politique. Elles constituent le cadre naturel pour répondre aux attentes des citoyens et résoudre les défis systémiques. Lorsque ces institutions faiblissent, la solution n’est pas d’organiser des États généraux, mais de réformer ces institutions pour qu’elles fonctionnent enfin comme prévu.
Mais parlons franchement : les citoyens ont eux aussi un rôle essentiel à jouer. Ils doivent cesser d’être des spectateurs passifs et assumer leur rôle de gardiens de la démocratie. Pour leur donner davantage de pouvoir, j’ai proposé dans la nouvelle Constitution l’ARTICLE 33, qui prévoit : « Le mandat électif peut être retiré par un nombre défini de pétitions, représentant 10 % de tous les électeurs inscrits dans la circonscription concernée. »
Ce mécanisme redonne aux citoyens un pouvoir direct de sanction. Il oblige les élus à rendre des comptes et les place sous la pression constante de la volonté populaire.
The Show Must End
Les États généraux ont peut-être leur place dans les livres d’histoire, mais dans une démocratie, ils incarnent un retour en arrière.
Dans une démocratie fonctionnelle, les institutions représentatives sont censées être le moteur du progrès social, économique et politique. Elles constituent le cadre naturel pour répondre aux attentes des citoyens et résoudre les défis systémiques. Lorsque ces institutions faiblissent, la réponse ne devrait pas être un recours à des mécanismes exceptionnels comme les États généraux, ces grandes messes politiques qui aggravent davantage le dysfonctionnement démocratique.
Au lieu d’être des outils de réforme, les États généraux deviennent des vastes opérations de communication où l’apparence de l’action remplace l’action elle-même.
Le moment est venu de tirer le rideau sur ce spectacle stérile et de recentrer les efforts sur ce qui compte vraiment : bâtir des institutions robustes, responsabiliser les élus et permettre aux citoyens d’exercer un contrôle effectif sur leurs représentants ; autrement dit, la révision intégrale (changement) de la constitution.
Le spectacle des États généraux peut être séduisant à regarder, mais il est temps de tirer le rideau. La RDC n’a pas besoin de davantage de bruit ni de trompettes. Elle a besoin de leaders visionnaires, de citoyens engagés et d’un État capable de transformer ses ambitions en réalité. Seule une telle approche permettra au pays de sortir de l’illusion et de s’engager sur la voie d’un véritable progrès.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits de l’homme et écrivain