Au fil des siècles, une amnésie collective s’est installée, éclipsant le fait que le commerce des esclaves transatlantique n’était rien de moins qu’une forme de trafic humain, non seulement tolérée mais également facilitée par des nations entières.
De nombreux Africains, enracinés dans leur terre natale et contrastant avec ceux, comme mon oncle, un bon nègre, semblent avoir été profondément choqués en découvrant dans mon livre « L’enfer c’est lui » que l’Église catholique, à travers une série de bulles papales, a été à l’avant-garde du commerce transatlantique des esclaves africains. Parmi ces décrets, Dum Diversas, émis le 18 juin 1452, se distingue, car il a effectivement inauguré le commerce des esclaves africains.
Cependant, il est crucial de reconnaître qu’une décennie auparavant, en 1441, le premier cas enregistré d’un Européen achetant des Africains esclaves s’est produit dans la région de la Guinée, avec Antão Gonçalves, un explorateur portugais, à la tête de la transaction.
Cet événement antérieur souligne les dynamiques de marché préexistantes au sein de l’Afrique, où les Africains capturaient et troquaient ou vendaient déjà des Africains entre eux comme des marchandises.
Anciennes économies politiques africaines dénuées d’humanité
Le récit de la traite des esclaves africains se focalise souvent sur des figures notables telles que Tip-o-Tip, les dépeignant comme des personnages singuliers. Peu d’attention est accordée aux nations africaines qui prospéraient en vendant des esclaves aux commerçants européens, alimentant des rivalités régionales pour en tirer profit.
La reine Nzinga Mbande des royaumes Ndongo et Matamba en Angola, une figure glorifiée du XVIIe siècle, accumulait des tributs sous forme d’esclaves, qu’elle échangeait avec les Hollandais contre des armes à feu, consolidant ainsi sa puissance militaire et économique. Même Mansa Musa, commémoré comme l’un des hommes les plus riches de l’histoire, pendant son règne en tant que roi du Mali XIVe siècle, a construit sa fortune sur l’ivoire, les plumes d’autruche, les noix de kola et surtout les esclaves.
Par ailleurs, des indices suggèrent que l’appétit pour le marché humain ne se limitait pas au seul monarque. Ghezo, qui est arrivé au pouvoir au Dahomey après un coup d’État soutenu par des marchands d’esclaves, a dû faire face à des dissensions internes, de nombreux sujets s’opposant à la pression de l’Empire britannique pour abolir le commerce des esclaves.
Les anciennes économies politiques africaines comme partout au monde étaient dénuées d’humanité. Mais aussi, le mal des Africains à capturer et vendre d’autres Africains, parfois dissimulé sous prétexte religieux ou naturels, était simplement motivé par un intérêt économique personnel ou national.
En apparence, la réévaluation par le monde occidental de l’exploitation humaine en termes de coûts et d’efficacité de la production, conduisant à la colonisation et, après les indépendances, à l’installation de tyrans dans leurs anciennes colonies, semblait avoir dissipé l’appétit des Africains pour la capture et le troc d’autres Africains. En réalité, cette dynamique n’a fait qu’accentuer un sentiment déjà présent, en introduisant un zeste plus déguisable et digérable, en accord avec le degré d’humanisme occidental de l’époque. L’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda en ce 21e siècle ne fait que confirmer ces faits.
Lors de ma visite à la ville côtière de Bagamoyo en Tanzanie, le simple son de son nom évoquait souvent un sourire. Pourtant, en kiswahili, il porte un sens lourd : « déposez votre cœur ». C’était un message déchirant adressé aux capturés, contraints de le chanter alors qu’ils étaient enchaînés et épuisés, les exhortant ainsi à abandonner tout espoir avant leur voyage vers l’île de Zanzibar, où ils seraient échangés comme des marchandises.
Une méthode similaire pour briser les esprits des esclaves peut être observée sur l’île de Gorée au Sénégal, ou à un autre point d’expédition d’esclaves tristement célèbre communément appelé la « Porte du NonRetour ». Des fractures de la perception rationnel héritées du commerce des esclaves persistent encore, où qu’il ait prospéré autrefois.
Aujourd’hui, les nations européennes, qui ont contribué au problème, et les nations africaines dépourvues de repères clairs pour le développement économique et la modernisation sociale, peinent à trouver comment inverser la trajectoire du trafique humain de la traite des esclaves africains, une tâche qui peut être perçue comme une forme de racisme. Cependant, le Royaume-Uni, avec un Premier ministre au visage non typiquement blanc, semble avoir résolu la première partie du puzzle.
La pratique de la déportation des immigrants est ancienne. Le véritable défi a toujours résidé dans la manière de les expulser en grand nombre et de les exhorter à abandonner complètement après leur départ, afin de les dissuader de ne plus revenir. Le Rwanda, se portant volontaire pour être la deuxième pièce, la Nouvelle Porte du Non-Retour, revêt une importance encore plus grande pour rendre cet effort moins répugnant.
Du panafricanisme au commerce d’êtres humains
Dans un passé récent, Paul Kagame a ardemment défendu l’idée d’un passeport africain commun, lui valant la reconnaissance d’une part significative des Africains en tant que nouveau leader panafricain. Cependant, avec son récent accord pour accepter les expulsés du Royaume-Uni et garantir qu’ils ne puissent pas revenir, Kagame semble avoir opté le rôle d’une figure clé dans l’itinéraire contemporain de l’esclavage moderne sanctionné par les nations. Cette transformation pourrait potentiellement attirer davantage de nations européennes et d’autres nations africaines vers des arrangements similaires, jetant une ombre sur ses soi-disant nobles aspirations à l’unité et à l’autonomisation africaines.
Kagame est fondamentalement un militaire et un tribaliste qui perçoit le monde à travers un prisme extrêmement étroit, axé sur la conquête et la préservation de soi et culturelle, qu’il déguise en pragmatisme. Cela intoxique la pensée rwandaise du nationalisme, où l’insensibilité se confond avec l’individualisme, s’éloignant radicalement de l’éthique de l’Ubuntu, malgré leurs affirmations contraires.
Hélas, ce n’est pas la première fois, ni la seule et on peut dire pas la dernière, que Kagame adopte une stratégie politique et économique déplorable, sous les acclamations des Rwandais. Il suffit de regarder vers l’est de la RDC depuis qu’il est au pouvoir au Rwanda. Cependant, les conséquences, tout comme les monarques africains d’autrefois qui utilisaient le commerce des esclaves pour renforcer leur pouvoir et l’unité nationale, pourrait ouvrir la voie à une nouvelle ère empreinte de ténèbres non seulement pour ses voisins mais aussi pour ceux qui vivent dans les régions pauvres ou en développement du globe.
Jo M. Sekimonyo