Etats généraux de la Justice congolaise : le Grand Oral du Professeur Jacques Djoli Eseng’Ekeli a tenu l’aréopage en haleine

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Il se tient du 6 au 13 novembre 2024 les assises des états généraux de la Justice congolaise au majestueux Centre financier de Kinshasa sous les auspices du ministre d’Etat, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Maître Constant Mutamba. Depuis l’entame de ce forum axé autour du thème central « Pourquoi la Justice congolaise est-elle malade ? Quelle thérapie pour la guérir ? », les participants ont eu droit à des interventions de haute facture. C’était également le cas au cours de cette quatrième journée de samedi 9 novembre qui a vu se succéder sur la tribune le Professeur Jean-Claude Tshilumbayi, le ministre Jean-Lucien Bussa, Jules Alingete, Peter Kazadi, le Professeur Luzolo Bambi, le Professeur Jacques Djoli et tant d’autres.

Constitutionnaliste de renommée internationale, ce dernier panéliste a abordé le sous-thème : « Entre défis anthropologiques et normatifs de la formation du Juge congolais comme éléments structurants dans la crise de la justice congolaise ». Jacques Djoli a, de prime abord, rendu un vibrant hommage au ministre d’Etat Constant Mutamba en ces termes : « Vous avez dit que le jour où nous remettrons de l’ordre et la discipline dans la justice, l’Etat se relèvera. Permettez-moi de vous dire solennellement notre fierté que vous soyez là. Vous êtes le pur produit de l’université congolaise. Et vous êtes en train de montrer à la face du monde que le Congo est capable de produire des valeurs sûres. Constant Mutamba, vous êtes constant dans votre capacité de transformer. »

Bâtir un Etat de droit


Le panéliste Jacques Djoli a, avant tout, posé les jalons de son intervention en rappelant à l’assistance que l’objectif général de ces journées (états généraux de la justice congolaise) est de contribuer à l’instauration effective de l’Etat de droit en République démocratique du Congo tel qu’énoncé dans la Constitution du pays. « Nous sommes tous animés par la volonté de bâtir au cœur de l’Afrique un Etat de droit, une nation puissante et prospère, … » a-t-il insisté.

Malheureusement, l’outil qui devait amener la RDC à l’instauration de cet Etat de droit est malade. Selon le Professeur, en réalité l’Etat de droit c’est l’Etat de la justice. Et l’Etat de la justice c’est essentiellement l’Etat des juges. Si ce compartiment du pouvoir est malade, c’est toute l’architecture qui est en désuétude.

A travers le sujet « Entre défis anthropologiques et normatifs de la formation du Juge congolais comme éléments structurants dans la crise de la justice congolaise », le Professeur Djoli a dit pouvoir déceler dans l’articulation de cette formation (matières techniques et matières humaines) les ferments de la déstructuration du système judiciaire congolais.

Quid de la justice ?

La justice se trouve au cœur de la centralité de toute société. La RDC a comme devise : « Justice, Paix, Travail ». Autrement dit, s’il n’y a pas de justice, il n’y a pas de paix. Et s’il n’y a pas de paix, il n’y a pas de travail, a martelé cet orateur. « Le socle de notre architecture c’est donc la justice. » Jacques Djoli a rappelé que Dieu lui-même est Justice.

Il a défini la justice comme étant un sentiment, une vertu, un idéal, un bienfait. La justice est au cœur de toutes les civilisations et de toutes les coutumes. Etablissant une mesure axiologique des vertus, Aristote estime, en son article 5, que la justice est la plus grande de toutes les vertus. Quant à Platon, il voyait en la justice la vertu cardinale pour assurer une organisation harmonieuse de la vie sociale.

Jacques Djoli poursuit le survol de ces grands penseurs en citant un savant chrétien africain, en l’occurrence, Saint Augustin qui écrivait : « Si la justice n’existe pas, que sont les Etats, sinon des bandes de voleurs. » (De civitas Dei, IV). Bref, les grands philosophes pensent donc que s’il n’y a pas de justice, on est dans la jungle. La justice doit être la première des vertus si l’on veut promouvoir la paix, la sécurité et le vivre ensemble.

En RDC, le Professeur Kambayi dit que le mot justice veut dire, en lingala, « Bosembo ». « Bo : ce qui doit être » et « sembo : ce qui droit, juste, harmonieux, vrai. » « Bosembo » est un modèle cosmique, religieux, social. « Soki bosembo ezali te, mboka ekoki kotelema te ! » (« Si la justice n’existe pas, le pays ne se relèvera jamais ! ») Sans mâcher ses mots, le panéliste Djoli a affirmé que si la vision métaphysique de la justice fait défaut, l’on est dans une coquille vide. C’est cela la caractéristique d’une société anémique, malade, menacée d’explosion.

Formation des magistrats

« Le magistrat c’est le plus grand homme de la démocratie », a lancé le Professeur Djoli. Il donne cet exemple : « Vous pouvez gagner aux élections, mais si le juge dit que vous n’avez pas gagné, vous avez donc perdu. Si le ciel est bleu, mais le juge dit que le ciel est rouge, le ciel est donc devenu rouge. » Le juge est devenu un constituant dérivé parce que c’est lui qui dit ce que le droit est.

La RDC a-t-elle un problème de production normative ? Absolument pas car celle-ci est assez fournie. Jacques Djoli y répond lui-même que la RDC a des textes, en commençant par la Constitution du 18 février 2006 qui fixe au cœur de son architecture la question rôle du juge. Les articles 149 et 150 de cette Loi fondamentale font du juge le garant des libertés fondamentales. Tout le schéma de l’articulation de la société congolaise repose sur le juge.

Le panéliste Djoli dit qu’au Congo le problème c’est que le droit est un droit désincarné qui n’est pas intériorisé. Parce que les acteurs vivent ce droit comme un corps étranger. Ce droit est donc totalement désarticulé parce que les acteurs n’intériorisent pas les textes faute de dimension métaphysique. D’où, la marchandisation de la justice. « Le métier de magistrat c’est un sacerdoce. Voilà pourquoi il [le magistrat] est, avec le prêtre, celui qui officie en toge parce qu’il est en train de rendre un ministère divin», a-t-il ajouté.

« Le droit est sacré. Et pour entrer dans ce temple des grands prêtres que sont les juristes, il faut avoir l’onction. », a révélé Jacques Djoli dont le Grand Oral a été, à maintes reprises, entrecoupé par des applaudissements frénétiques de l’aréopage. « On ne vient pas à la magistrature comme on va vendre les makayabu (poissons salés). Mais plutôt comme l’on va dans un sacerdoce. » Ces paroles ont fait vibrer la salle de conférences du Centre financier.

Le Professeur Djoli a affirmé que ne devient pas magistrat quiconque finit à la Faculté de Droit mais celui ou celle qui fait et réussit le concours à l’Ecole Nationale de la Magistrature. Et c’est là que l’on donne au juriste les matériaux pour consolider son ministère public, son service public. Il a proposé de réviser le système de formation des juristes car il se pose un problème de la dimension anthropologique. Il faut impérativement créer Ecole Nationale de la Magistrature en vue d’une immersion complète dans les questions sociétales comme en France où les candidats magistrats sont formés pendant trente-et-un mois.

Au lieu d’être le gardien des libertés, le juge congolais est devenu le tortionnaire des libertés fondamentales. Aussi, le magistrat doit-il intérioriser les valeurs de l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la probité, la loyauté, la conscience professionnelle, le respect et l’attention portés à autrui, la discrétion, a conclu le panéliste Jacques Djoli. Pour être magistrat, ce sacerdoce, il faut une vocation car, comme le dit Platon, « la justice est un mystère que seul Dieu révèle à une poignée d’élus ».

« Fondement de la res publica (Platon), mère de toutes les vertus (Aristote) et première vertu des institutions sociales, politiques et économiques d’un pays, notre pays ne deviendra stable, viable et prospère que si nous prendrons au sérieux le paradigme de la justice comme fondement de notre vivre-ensemble. Son absence est à la base de notre déclin, de notre ruine. La justice est la voie royale pour sortir notre pays de l’imbroglio actuel. Or, pour avoir la justice, il nous faut former des vrais magistrats. Une formation certes technique mais surtout éthique et philosophique », dixit Jacques Djoli.

A la fin de cette quatrième journée, le ministre d’Etat Constant Mutamba a tenu à remercier de vive voix ses deux maîtres, en l’occurrence les Professeurs Jacques Djoli Eseng’Ekeli et Luzolo Bambi Lessa, qui l’ont beaucoup soutenu dans son cursus académique, qui l’ont façonné. Les états généraux de la justice congolaise vont se clôturer le 13 novembre 2024 au Palais du Peuple.

James Mpunga Yende de la Cellule de Communication

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