Par un arrêté rendu le 8 juillet 2025, le Conseil d’État a réhabilité Honoré MULUMBA KALALA, ancien Directeur Général du Fonds Forestier National (FFN), précédemment suspendu pour une série de fautes graves. Cette décision, pour le moins surprenante, défie non seulement la logique administrative mais heurte également le principe de la reddition des comptes dans la gestion de la chose publique.
Pourtant, les faits sont accablants. Deux rapports institutionnels, celui de la Cour des Comptes et celui du Collège des Commissaires aux Comptes, dressent un portrait édifiant d’une gouvernance entachée de pratiques frauduleuses, d’opacité financière et de légèreté dans la gestion des ressources publiques de Mr Mulumba. Le maintien en fonction de ce dernier équivaut donc à consacrer l’impunité en République Démocratique du Congo.
Le rapport de la Cour des Comptes relève notamment l’ouverture irrégulière d’une antenne provinciale du FFN à Mbuji-Mayi, en violation flagrante du décret 09/24 du 21 mai 2009 qui exige l’approbation du Conseil d’administration et du Ministre de tutelle pour une telle initiative. Non seulement cette antenne a été créée sans aucune procédure régulière, mais elle a également donné lieu à un contrat de bail assorti d’une garantie et de 24 mois de loyer, soit 13 200 USD, pour un bureau purement fictif. Un gaspillage manifeste des deniers publics.
À cela s’ajoute l’exécution de budgets sans adoption préalable par le Conseil d’administration, en violation directe de l’article 17 du même décret. En somme, une gestion unilatérale où le Directeur Général s’arroge les pleins pouvoirs sans aucun garde-fou institutionnel.
Le scandale du reboisement fantôme
La mission de la Cour des Comptes a révélé une autre aberration; parmi près de 200 projets financés pour un montant total de 4,9 millions USD, seulement trois ont fait l’objet de suivi ou d’évaluation. Une légèreté de gestion qui remet en cause la réalité même des projets financés et les finalités environnementales du FFN. Plus troublant encore, des rabais suspects sur les superficies déboisées par certaines entreprises (Scipec, Sek Kipoï, Cokibafode), ont généré une perte sèche de 7,7 millions USD pour l’État.
Pis encore, des ONG sans agrément ministériel, au nombre de 83, ont reçu des financements massifs pour des projets de reboisement, en toute illégalité. Ainsi, des sommes colossales ont été décaissées sans garantie de leur utilisation effective, en violation du décret régissant le FFN.
Le rapport du Collège des Commissaires aux Comptes pour l’exercice 2023 ajoute une couche à ce tableau déjà sombre : traçabilité défaillante, acquisition de véhicules sans factures probantes, absence d’inventaire des biens immobilisés, budgets exécutés sans adoption formelle par le Conseil d’administration, etc. Les irrégularités sont telles que les auditeurs n’ont pu se prononcer sur la sincérité des états financiers.
Parmi les anomalies constatées, il a été noté l’achat de véhicules sans plaques d’immatriculation, parfois enregistrés en comptabilité sur simple décharge.
Une surestimation flagrante de la TVA à hauteur de 8 760 USD sur l’achat d’un véhicule.
L’absence de quittances sur le paiement des taxes de déboisement.
Des charges de fonctionnement (entretiens, frais de réception) dont les montants, se chiffrant en dizaines de millions de francs congolais, restent injustifiés.
Un récidiviste insubordonné
Le cas Honoré MULUMBA n’est pas isolé ni accidentel. Il s’agit d’un récidiviste notoire, coutumier des décisions unilatérales et des pratiques insouciantes. La tutelle elle-même avait déploré son refus obstiné de communiquer la liste des banques logeant les fonds du FFN ou celle des ONG bénéficiaires des financements.
Plus grave encore, la réhabilitation d’un tel profil interroge sur les mécanismes internes au Conseil d’État. Selon certaines indiscrétions, une somme avoisinant 300 000 USD aurait discrètement circulé pour « influencer » la décision en faveur du désormais ex-suspendu. Si cela venait à être confirmé, la République serait confrontée à une perversion profonde de ses institutions censées garantir l’État de droit.
Le droit mis à genoux par la corruption
La décision du Conseil d’État n’est pas simplement une faute judiciaire ; elle constitue une trahison de la lutte pour la transparence et la bonne gouvernance prônée par les plus hautes autorités du pays. Ce précédent dangereux compromet la crédibilité des efforts engagés par la Présidence de la République et affaiblit la lutte contre la corruption.
Dans un pays qui aspire à l’émergence, il est impensable que des institutions judiciaires deviennent des refuges pour les prédateurs de la République. Le cas MULUMBA devrait être un signal d’alarme pour l’Inspection Générale des Finances, la Police Judiciaire, le Parquet général près la Cour de Cassation, mais aussi l’ANR et la DGM. Toutes ces instances doivent impérativement se saisir de ce dossier, non seulement pour restaurer la justice, mais aussi pour sauver ce qui reste de la moralité publique.
Le rapport final de la Cour des Comptes, jusqu’ici en attente de publication officielle, doit être porté à la connaissance du public afin que lumière soit faite et que tous les acteurs impliqués répondent de leurs actes devant la justice.
Il ne suffit pas de s’indigner. Le combat pour un État de droit en RDC passe par la fermeté à l’égard des agents publics qui confondent gestion publique et prédation. L’impunité n’est pas une option. Si la RDC veut construire une gouvernance crédible, elle doit impérativement se doter de mécanismes judiciaires réellement indépendants et imperméables à la corruption.
Réhabiliter Honoré MULUMBA, c’est insulter la mémoire de tous ceux qui, au sein des organes de contrôle, travaillent pour assainir la gestion publique. C’est aussi ruiner les efforts environnementaux que le FFN est censé porter pour les générations futures.
La Rédaction